Commençons par le thème : le théâtre français. Comment caractériseriez-vous le théâtre français – y a-t-il des différences par rapport à d’autres traditions théâtrales?
Oui. On a d’abord un grand répertoire. Il y a eu beaucoup d’auteurs classiques ; beaucoup d’auteurs à partir du XVIème et du XVIIème siècle. Dans le repertoire théâtral français il y a eu une vraie production. Donc déjà par rapport à d’autres traditions on a ce prestige, cette grande histoire, avec de nombreux auteurs. Ce qui fait qu’il y a un grand repertoire français et francophone.
Aujourd’hui le théâtre contemporain est aussi important. Il y a beaucoup d’auteurs français qui écrivent aujourd’hui – tout ça continue. Donc je dirais que par rapport à d’autres traditions on est forts parce qu’on a une grande histoire derrière nous. Par exemple, pour la tradition américaine on pense aux grands classiques américains de Eugene O’Neill, on pense à Tennessee Williams, Arthur Miller. Du coup, la tradition américaine commence plus tard et il y a moins d’auteurs. Tandis que nous avons cette grande, grande tradition française.
Et je dirais que cette tradition est surtout littéraire, parce que la plupart des œuvres s’intéressent beaucoup à la question du langage. La langue et le langage sont très importants au théâtre français – beaucoup plus que les histoires et le réalisme – qui sont importants chez la tradition Britannique ou Américaine dans une certaine mesure. Chez le théâtre français, le texte et la manière dont il est écrit renseignent sur les idées de fond – ça fait vraiment partie de la tradition française. C’est-à-dire le style de l’auteur, la langue et le langage sont très importants. Du coup, il y a une grande tradition orale du théâtre, mais je dirais aussi que c’est de la littérature tout simplement. Il y a un travail sur la langue inédit dans le répertoire français.
Vos choix semblent offrir diverses façons d’approcher le théâtre français : comment le lire, comment l’interpréter, comment le représenter. J’aimerais savoir ce qui a guidé vos choix.
C’était d’abord une liste personnelle; des choix assez personnels de livres que j’aime beaucoup, et que je fréquente aussi énormément. Ce sont vraiment des ouvrages de référence.
Ce sont aussi des ouvrages dont on peut lire même que quelques pages et on se nourrit déjà bien – on n’a pas besoin de tout lire. C’est le cas du livre d’Antoine Vitez, qui est en fait une série de petits articles. Donc vous pouvez choisir de lire certains passages dans Le théâtre des idées, qui est très large, c’est une grande collection. Et puis dans l’Anthologie de l’avant-scène théâtre, qui est un livre génial, on peut se concentrer sur un auteur, sur une période, ou bien lire tout simplement l’introduction à un chapitre, à une période historique. Donc je dirais que ce qui fonde mes choix c’est plutôt d’abord ce que j’aime moi personnellement, des livres que j’aime avoir prés de moi.
J’ai mis Anne Ubersfeld parce que c’est un livre important pour l’analyse du theatre, c’est un ouvrage de référence. J’aurais pu en ajouter un autre de quelqu’un un petit peu comme Anne Ubersfeld, qui est aussi un universitaire qui écrit sur le théâtre, Robert Abirached. Il a écrit un livre tout à fait important, La crise du personnage dans le théâtre moderne. Là c’est un petit peu un panorama sur le théâtre moderne. Il explique comment c’est la notion du personnage qui est en crise depuis les années 1930-40. Donc ce qui forme mon choix c’est ça ; c’est vraiment fréquenter des penseurs. Des universitaires, mais aussi des gens qui ont pensé le théâtre, des praticiens qui ont écrit. Par exemple, Louis Jouvet, Antoine Vitez, Jacques Copeau ce sont des hommes de théâtre qui écrivent sur leur pratique, sur la mise en scène, sur leurs idées. Ce sont des beaux ouvrages parce que eux ils représentent la tradition théâtrale française. Jouvet et Vitez sont les deux plus importants metteurs en scène au XXème siècle.
Quelles étaient les grandes inspirations de Vitez?
Au résumé comme ça c’est un peu difficile, mais Vitez s’intéresse surtout à tout ce qui est résonnance entre les textes. Pour lui, le sens d’un texte est pluriel – il n’y a pas qu’un seul sens, il peut pouvoir dire bien d’autres choses. Surtout dans un texte de théâtre ; il y a mille autres choses, il y a mille autres inspirations, d’autres échos, d’autres résonnances. Donc lui il va s’intéresser à faire un théâtre de recherche, un théâtre d’art, bien évidemment il va essayer d’ouvrir tous les sens possibles. Et c’était l’un des plus grands metteurs en scène français du XXème siècle. C’est surtout quelqu’un qui est ouvert sur toutes les littératures. Donc qui va chercher à chaque fois à faire entendre tous les sens possibles.
Y a-t-il des passages dans Le théâtre des idées que vous recommandez spécialement?
Alors ce qui est formidable c’est que dans Le théâtre des idées il y a des réflexions sur l’école – il a créé une école – des réflexions sur la formation – il a longtemps enseigné au Conservatoire. Donc tous ces passages-là me plaisent énormément, pour ce qui est de la composition des pièces. Et ce sont des courtes pensées, de courts articles dans le livre.
Sinon, j’adore aussi toute la partie dans Le théâtre des idées où on retrouve les programmes des pièces qu’a mis en scène Antoine Vitez. Et à chaque fois c’est brillant parce que le répertoire est très large. Il a monté beaucoup d’auteurs et évidemment monté tous les auteurs du monde. Il ne s’arrêtait pas qu’aux auteurs français. Mais quand on lit Le théâtre des idées on a des vignettes sur Le misanthrope de Molière, sur le théâtre de Racine, etcetera. Et ça c’est très agréable à lire. Donc je dirais les textes et programmes des pièces, toute sa partie formation, et toute sa partie réflexions autour de l’art théâtral.
Et dans l’Anthologie de L’avant-scène théâtre, quelles périodes vous intéressent le plus?
Dans l’Anthologie, en fait vraiment tout. Elle est organisée selon les siècles. Donc il y a le fameux XVIIème siècle avec Molière, Racine, les comédie-ballets. Enfin il y a vraiment toute la periode. Le théâtre du XVIIIème est aussi passionnant avec Marivaux, Beaumarchais – théâtre très révolutionnaire – beaucoup de choses aussi. Et puis j’aime beaucoup la partie XIXème et la partie XXème – enfin, elles sont toutes passionnantes.
Mais ce qui est vraiment admirable dans ces ouvrages c’est qu’ils nous font découvrir pleins d’autres petits auteurs qui ont été oubliés aujourd’hui. Donc en fait, dans l’Anthologie, il n’y a pas que les principaux, il y a aussi tous les autres mouvements qui étaient importants à l’époque. Il y a eu du théâtre révolutionnaire – Voltaire par exemple voulait être avant tout auteur de théâtre. Il est connu aujourd’hui plutôt comme essayiste, romancier, mais au départ il voulait être homme de théâtre, donc lui s’est lancé dans cette période du théâtre révolutionnaire qu’on connait moins aujourd’hui, qu’on joue moins, mais que l’Anthologie va vous présenter, tout en présentant les entrées connues.
Je dirais par rapport à l’Anthologie que j’aime beaucoup le XIXème en fait ; Victor Hugo et la période symboliste. J’aime beaucoup l’ouvrage. Et je l’utilise beaucoup pour les cours.
Et on a vraiment la notion d’une évolution entre ces différentes époques dans l’Anthologie.
Tout à fait. L’ensemble de l’Anthologie raconte une histoire ; c’est la grande histoire du théâtre français.
Passons à Molière de Jacques Copeau. On dit que Copeau était un Molière exemplaire. Pourquoi?
Parce qu’en fait il faut savoir que d’abord il y a eu la période où Molière était joué lors de la création de la Comédie-Française – tout ça c’est la fin du XVIIème. Et puis après au XVIIIème et au XIXème siècle notamment, Molière n’est plus du tout à la mode. On le joue plutôt mal. Il y a une citation très connue d’Alfred de Musset disant qu’il s’était tellement ennuyé en voyant le Misanthrope à la Comédie-Française, parce qu’on continuait à jouer Molière mais c’était moins bien fait. C’est un répertoire qui tombe un peu en désuétude.
Ce que va faire Copeau c’est s’interroger sur le son du théâtre, sur le bon jeu qu’il faut développer. Donc il va prendre Molière pour revenir aux sources du théâtre, aux racines du théâtre. Donc ce qui va être révolutionnaire avec Copeau c’est qu’il va monter Molière de manière très épurée, très simple sur un plateau nu. Sur ce qu’on appelle les tréteaux, c’est-à-dire la scène, il va juste mettre les acteurs, le texte pur de Molière. Donc il va être en ce sens un peu révolutionnaire, parce que il va remettre au goût du jour Molière en enlevant le coté ampoulé de la tradition – les costumes, etcetera. Il va vraiment s’interroger et pour lui c’est un petit peu comme la source, le début du théâtre français. Il va beaucoup s’y intéresser.
Donc dans Molière il parle beaucoup de ça, et il situe l’héritage de Molière en ce début de XXème siècle. C’est passionnant de voir Copeau, cet être mythique qui est plutôt un metteur en scène, qui va vouloir développer l’art théâtral. Il s’intéresse beaucoup au jeu d’acteurs, à révolutionner tout ça. C’est un homme de théâtre qui va essayer de moderniser le jeu, de le rendre plus essentiel, et s’inscrire complètement dans la tradition théâtrale moderne.
Y a-t-il
une pièce de Molière sur laquelle il était particulièrement perspicace?
Oui : ce sont les Fourberies de Scapin. Il faut savoir que Copeau il avait un théâtre et un jardin rue du Vieux-Colombier, c’est le théâtre du Vieux-Colombier de la Comédie-Française. C’était trois salles de la Comédie-Française. C’est un très beau lieu historique à Paris parce que c’était le théâtre de Jacques Copeau. Et donc dans ce théâtre il a notamment mis en scène Scapin. Il y a une image connue d’un acteur jouant Scapin avec un costume très simple, blanc, et il y a juste la scène nue, Scapin, un autre acteur, et un ou deux accessoires. C’est très simple.
Quelle est la différence de perspective de Jouvet sur Molière par rapport à celle de Copeau?
Ils recherchent tous les deux l’esprit premier de Molière ; une certaine pureté ou vérité du jeu. Copeau s’intéresse à retrouver l’essence de ce théâtre de tréteaux. Jouvet se propose d’inventer une nouvelle façon de jouer en insistant sur le sentiment juste à faire entendre et ressentir. Ils sont proches finalement.
Comment Jouvet a-t’il inspiré votre style d’enseignement?
Il insiste sur la primauté du texte, la bonne respiration et le sentiment juste à défendre.
Comment votre dernier choix, Lire le théâtre, parvient-il à adresser le souci de la distinction entre texte et représentation ?
Ce livre aide à l’analyse des pièces de théâtre et propose une lecture non pas juste du texte, mais de la représentation et surtout de l’organisation interne et dramatique de la pièce.
En tant qu’enseignant, quelles leçons importantes tirez-vous de cette œuvre?
Que les mises en scène de pièces peuvent et doivent être analysées séparément des textes. Qu’elles sont objets indépendants et qu’elles renforcent les sens du texte.
Five Books aims to keep its book recommendations and interviews up to date. If you are the interviewee and would like to update your choice of books (or even just what you say about them) please email us at [email protected]
Five Books interviews are expensive to produce. If you've enjoyed this interview, please support us by donating a small amount.